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J’avais 20 ans ...

A quelques jours de cette sombre journée qui vit le sabordage de la Flotte le 27 novembre 1942, ce même jour une lueur d’espoir naissait avec l’évasion de cinq sous-marins : Casabianca, Glorieux, Marsouin, Iris et Vénus. Trois continuèrent le combat avec les alliés : Casabianca, Glorieux, Marsouin. 70 ans après, voici le témoignage de Monsieur Louis GICQUEL, à l’époque quartier-maître électricien embarqué du 15 décembre 1940 jusqu’en 1946, ayant participé à toutes les missions du Casabianca.

samedi 24 novembre 2012 , par Christian LECALARD

En ce mois de novembre 1942, j’avais 20 ans et j’étais embarqué sur le sous-marin "Casabianca" depuis le 15 Décembre 1940. Quartier-maître électricien, j’étais chargé de la conduite des moteurs électriques de propulsion. Le bâtiment avait terminé son grand carénage et le Capitaine de Corvette L’Herminier venait d’en prendre le commandement.

Evasion de Toulon le 27 novembre 1942 :

Depuis le 11 novembre, les troupes allemandes avaient envahi la zone libre et s’étaient arrêtées aux limites du camp retranché de Toulon. Cinq sous-marins appartenant au groupe de relève sont à quai dans la darse du Mourillon : le Casabianca, le Marsouin, le Glorieux, l’Iris et la Vénus. Leurs commandants profitent de cette période d’incertitude pour se concerter et examiner les possibilités d’actions : le sabordage, l’attente des ordres de l’autorité ou la sortie de la rade ? Les avis sont partagés et certains sont perplexes. Une équipe de sabordage est de toute façon prévue sur chaque bâtiment et je fais partie de celle du Casabianca. Il est prescrit que le sous-marin doit être coulé en eaux profondes et en pleine mer. Les ordres des autorités étant cependant assez vagues, les commandants se préparent à faire un coup…

Le commandant l’Herminer donne l’ordre, à son officier en second, le Lieutenant de Vaisseau Henri Bellet, de rassembler tout l’équipage et prévient que si les allemands rentrent dans Toulon, le sous-marin sera coulé. Aussitôt, l’équipage se concerte et est d’avis de ne pas se rendre. Le quartier-maître le plus ancien est désigné pour aller rendre compte au commandant de ce souhait. Celui-ci frappe à la porte du commandant et l’informe que l’équipage veut continuer le combat. Le commandant lui répond : "Dit-leur de continuer à obéir, rien n’est perdu".
L’officier en second fait prendre des dispositions particulières : changement du poste de mouillage à quai en mettant l’étrave face à la passe, modification de l’amarrage en dédoublant les aussières. La veille est renforcée de jour comme de nuit. Le sous-marin devient autonome, des économies d’énergie électrique sont prises en laissant un éclairage minimum et la ventilation est même diminuée, ce qui rend la vie à bord assez pénible. L’équipage est consigné à bord et nous dormons tout habillés pour gagner du temps en cas d’attaque.

Position des sous-marins :

I) - Marsouin

II) - Casabianca

III) - Vénus

IV) - Glorieux

V) - Iris

Mais les allemands ne tiennent pas leurs engagements et, très tôt ce matin du 27 novembre, franchissent les barrages du camp retranché. Les consignes deviennent alors opérationnelles.
Il est 5 heures, la relève du factionnaire est faite, le quartier-maître remplaçant entend des bruits et une lumière rouge située à proximité des quais s’allume donnant le signal d’alerte. Il actionne aussitôt le klaxon qui retentit dans tout le bord. Branle-bas de combat, je saute de ma couchette, située dans le compartiment arrière, et me précipite à mon poste d’appareillage. Tout l’équipage en fait autant. Un homme est envoyé pour prévenir les officiers mariniers hébergés à la base. Il n’a pas le temps d’y parvenir, des crépitements de balles s’approchent de plus en plus, il faut faire vite…

Cinq sous-marins vont s’échapper du piège de Toulon. Le premier est la Vénus qui se présente devant le filet qui ferme la darse du Mourillon, accroche dans sa manÅ“uvre un câble d’acier et se trouve brusquement freinée. Le Casabianca, qui le suit, ralentit son allure, longe les ballasts de la Vénus et le commandant propose de lui prêter aide mais le commandant de la Vénus la refuse. Le Marsouin, qui n’avait pas son étrave dirigée vers la passe, perd un certain temps à manÅ“uvrer. La fusillade commence sérieusement à crépiter sur les quais et le commandant l’Herminier donne l’ordre au timonier d’aller chercher les casques pour le personnel de la passerelle. Le Glorieux, qui lui aussi a son étrave vers le quai, met beaucoup de temps à se débarrasser de la tuyauterie d’air comprimé et de ses câbles électriques. Durant son évitage, une rafale de mitraillette atteint le bord sans causer de préjudice, le commandant et le commandant en second répliquant avec leurs revolvers. Le dernier des sous-marins à tenter cette évasion acrobatique est l’Iris qui, lui aussi mal orienté, permet dans sa manÅ“uvre au Glorieux de passer devant.

Le temps a été relativement court depuis l’appareillage de la Vénus, les sous-marins filent à la barbe des allemands et se trouvent en ligne de file dans la rade de Toulon. Les avions allemands ne cessent de survoler la rade et lâchent des chenilles éclairantes. Le clair de lune ne favorise pas notre sortie et les mines magnétiques parachutées commencent à tomber. Heureusement le Casabianca est passé au « dégaussing  » quelques jours avant, ce qui lui évite le choc avec ces mines.

Le Casabianca se présente le premier devant les filets anti-sous-marins qui ferment la grande passe de la rade de Toulon. Les bombes explosent à faible distance. Le patron du remorqueur, chargé d’ouvrir ces filets, n’ayant pas reçu d’ordre de la préfecture, refuse de les manÅ“uvrer. L’officier en second, le LV Bellet, revolver au poing, se rend à l’avant du sous-marin et le somme d’ouvrir immédiatement. Le dialogue est interrompu par le fracas d’une formidable explosion, la bombe est tombée sur le musoir de la jetée, les débris pleuvent sur les deux bâtiments. Le patron du remorqueur a compris et s’exécute immédiatement. Le Casabianca se faufile dans un angle assez fermé et se dirige vers la pleine mer.

Les bombes ont fait des dégâts à bord, le compas gyroscopique chavire, le poste émetteur radio est détérioré, certaines lampes d’éclairage ont volé en éclat… Le commandant demande un compte-rendu éclair de sécurité du bord. Aucune fuite n’est apparue et, rassuré sur l’état du sous-marin, le sondeur en état nous indiquant une profondeur de quinze mètres, le commandant donne l’ordre de plonger. Il demande ensuite la vue périscopique mais ne voit strictement rien. Dans la précipitation, le timonier de la passerelle avait simplement omis d’enlever les capots protecteurs des prismes. Nous refaisons surface sur les barres, l’officier en 4 ème, l’enseigne de vaisseau Lasserre, reçoit l’ordre d’enlever les capots du périscope, ce qu’il fait sans attendre. Nous replongeons aussitôt et nous naviguons en plongée entre le cap Sicié et les îles du Levant, à faible allure, l’équipage au poste de veille.

Le commandant l’Herminier décide de rester 24 heures devant Toulon afin de prêter main-forte à tous bateaux qui auraient pu sortir. Malheureusement ce n’est pas le cas. Le commandant ne voit dans le périscope que des nuages noirs qui obscurcissent le ciel et des bruits d’explosions se font entendre. Au bout de 24 heures le Casabianca met le cap sur Alger.

Dans l’esprit du commandant l’Herminier, l’arrivée à Alger n’allait pas être très facile car nous n’avions plus de possibilité d’émettre par radio. Comment faire passer notre message aux alliés ? La décision est prise, nous ferons surface sur les barres et lorsque le panneau du kiosque sera ouvert, nous brandirons le pavillon tricolore.

Nous sommes entre le cap Matifou et l’entrée de la rade d’Alger et nous avons repéré une frégate anglaise qui patrouille dans cette zone. Nous mettons notre plan à exécution et aussitôt le commandant de la frégate anglaise somme le commandant du bord de se faire reconnaître. En même temps les anglais se mettent au poste de combat et orientent les canons dans notre direction.
Notre commandant répond par signaux lumineux :"french submarine, nous arrivons de Toulon, nous n’avons plus de moyen d’émettre". Le commandant de la frégate anglaise et ses membres d’équipage lancent leurs casquettes et bérets en l’air en criant " hurrah…hurrah…, nous vous accompagnons jusqu’à un poste d’amarrage dans le port d’Alger".

Nous avions réussi, nous pouvions continuer le combat, d’autres aventures nous attendaient.

Le commandant L’Herminier, résumant cette journée, écrira plus tard :

« Nous voulions tous donner son plein sens à notre évasion et mettre les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu. Tous, du dernier breveté au commandant, rendions grâce à la Providence, ayant fait ce qui était en notre pouvoir pour nous attirer la protection divine, mais sachant bien que sans Elle nous n’aurions pu réussir à gagner le large, et à nous retrouver libres  » .

Monsieur Louis GICQUEL, ancien du sous-marin Casabianca de 1940 à 1946
a participé à toutes les missions en mer Méditerranée

Louis GICQUEL à gauche et Robert CARDOT à BASTIA en compagnie du Ministre de la Défense de l’époque.


ETAT MAJOR GENERAL

Service Historique

LISTE NOMINATIVE DE L’EQUIPAGE
du Sous-marin « CASABIANCA  »

Référence : - Lettre « CASABIANCA  » Ss n° du 24/12/1942 transmise à P.M. IVème Région

Par lettre Marine Alger N° 40 E.M.1.P. du 6/01/1943

Le dossier fait état (numériquement) de 5 officiers y compris le commandant), 13 officiers mariniers et 50 quartiers-maîtres ou marins, comptant à l’effectif,

Soit, en tout 68 hommes.

Dans les propositions de citations, on relève les 58 noms suivants, partis de Toulon le 27 novembre 1942

5 Officiers  :

L’HERMINIER Capitaine de Corvette

BELLET Lieutenant de Vaisseau

KERNEUR Ingénieur Mécanicien de 1ère Classe

CHAILLEY Enseigne de Vaisseau de 1ère Classe

LASSERRE Enseigne de Vaisseau de 1ère Classe

7 Officiers-mariniers :

JEGOU Pierre Maître Torpilleur

QUILLIEN Nicolas Maître Electricien

VARLET Georges Maître Mécanicien

TAGLAND René Maître Mécanicien

GUEGAN Albert Second-Maître Electricien

QUERAN François Second-Maître Electricien

NEVEU Félix Second-Maître Mécanicien

46 Quartiers-maîtres et Matelots :

VILLEMIN Marcel Quartier-Maître 2 Electricien

DARCHEN Théophile Quartier-Maître 1 Mécanicien

LIONNAIS Jean Quartier-Maître 1 Torpilleur

HENRY René Quartier-Maître 1 Torpilleur

BELLEC Jean Quartier-Maître 2 Torpilleur

COLLOMB René Matelot Torpilleur

BOUILLANT Jean Matelot Torpilleur

VIGOT Pierre Quartier-Maître 2 Timonier

RENAUD Camille Quartier-Maître 2 Timonier

VAUBOURG Georges Matelot Timonier

FAVREAU Pierre Quartier-Maître 2 Radio

THIERS René Quartier-Maître 2 Radio

LALLEMENT Rodolphe Matelot Radio

DUFOUR Roger Matelot Radio

LE ROUX Georges Quartier-Maître 1 Canonnier

GRAVIER Joachim Matelot Canonnier

BEHIN Raymond Matelot Canonnier

REMUS Emile Quartier-Maître Fusilier

DONNARD Jean Quartier-Maître ManÅ“uvrier

GUILLOU Joseph Quartier-Maître 2 Electricien

LE GOFF Jean Quartier-Maître 2 Electricien

GICQUEL Louis Quartier-Maître 2 Electricien

RICHARD Jean Matelot Electricien

MARBACH Paul Matelot Electricien

VERGNAUD Matelot Electricien

TARTAGLINO Claude Matelot Electricien

MORICE Raymond Quartier-Maître Mécanicien

SEVENO Marcel Quartier-Maître Mécanicien

ASSO Paul Quartier-Maître 2 Mécanicien

PRALY Maurice Quartier-Maître 2 Mécanicien

LE RIBLER Marcel Quartier-Maître 2 Mécanicien

LUC Jacques Quartier-Maître 2 Mécanicien

GUILLOU Albert Quartier-Maître 1 Mécanicien

HEICHETTE Maurice Quartier-Maître 2 Mécanicien

COLIN Pierre Quartier-Maître 2 Mécanicien

THIBERT Marceau Quartier-Maître 2 Mécanicien

BERNARD Charles Quartier-Maître 2 Mécanicien

CARDOT Robert Matelot Mécanicien

LE MEUR Roger Matelot Mécanicien

TARRADE Henri Matelot Mécanicien

LAPORTE Bernard Matelot Mécanicien

GUERN Louis Matelot Mécanicien

LE BORGNE François Matelot Mécanicien

BERNARD Emile Quartier-Maître 2 Maître d’Hôtel

DONVAL Jean Matelot Maître d’Hôtel

MARTINEZ Jean Matelot Cuisinier

Parmi ces 58 hommes d’équipage il ne reste à ce jour : 20 novembre 2012 que :

DONVAL Jean - 95 ans

DUFOUR Roger - 93 ans

FAVREAU Pierre - 90 ans

GICQUEL Louis - 90 ans

PRALY Maurice - 90 ans

VAUBOURG Georges - 89 ans

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