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Au début de l’année 1942, six sous-marins de 1500 T sont en Océan Indien : Espoir - Vengeur - Héros - Bévéziers - Monge - Glorieux , assurant les escortes à tour de rôle des navires ravitaillant DJIBOUTI.

Les sous-marins en Océan Indien - Janvier à mai 1942

vendredi 16 août 2019 , par Christian LECALARD


Le 15 mars 1942, Espoir et Vengeur repartent vers DAKAR Héros et Glorieux continuent les escortes vers DJIBOUTI.

le 5 mai 1942, DIEGO SUAREZ est attaqué par une force navale anglaise. Le Bévéziers est coulé par attaque aérienne en baie de DIEGO SUAREZ.

Le 8 mai 1942, le Monge est coulé par les destroyers "Active" et "Panther", après qu’il est procédé à une attaque à la torpille du porte avions "Indomitable", et l’avoir manqué de peu.

Le 5 mai 1942, Le Glorieux est au sud ouest de DIEGO SUAREZ, dans le canal de Mozambique à Majunga, après avoir patrouillé jusqu’au 11 mai 1942, ravitaillé à Androka, le GLorieux appareille le 16 mai 1942, passe le cap de bonne espérance le 26 mai 1942, et rejoint DAKAR le 18 juin 1942.

L’Amiral Hubert PUTZ, nous a obligeamment fait parvenir un document rédigé par son père Maurice PUTZ qui à cette époque était enseigne de vaisseau et officier en quatrième du sous-marin Héros. Il a vécu la fin dramatique de son sous-marin, et brossé la situation de l’époque à MADAGASCAR.


Souvenirs de l’EV1 Maurice PUTZ sur le Héros à Madagascar et à Djibouti en 1942

Rédigés vers le 10 février 1943

J’écris ce journal pour fixer les souvenirs d’une période sur laquelle je n’ai pas eu la liberté d’écrire.

De mon retour de Diego Suarez, je ne rappellerai que la question du ravitaillement de Djibouti.

A notre arrivée (fin novembre 41) le Vengeur (Cdt Digard, LV Crétin, EV Cossé, Peffaut) racontait qu’il y avait été, en juin je crois, disant que l’esprit y était excellent et qu’on y faisait des travaux de défense. Le port était bloqué par mer par l’aviso Savorgnan de Brazza.

Vers la terre les Anglais avaient décrété un no-man’s land de 50 km et ils mitraillaient par avion les troupeaux qui essayaient de passer.

Le Vengeur lança 4 torpilles sur le Savorgnan, mais le manqua car il ne marchait que sur une ligne d’arbre, et le nombre de tours écoutés fit croire à une vitesse supérieure.

Nous étions à Diego depuis 8 jours quand le Monge revint de Djibouti (Cdt Delort, LV Bérenger, EV Le Ruen, EV Kupper). Il y avait été juste à son retour d’Indochine (le temps de charger une quinzaine de tonnes de vivres).

Le Monge avait trouvé le moral moins brillant que le Vengeur. Un été de plus était passé ; en outre, le Monge y avait été par chaleur encore très forte, avait vécu comme eux de dourah et de viande de chameau, ce qui est terrible sur un sous-marin où les hommes ont un service très dur au mouillage (réparations et entretien courant par les moyens du bord).

A son retour de Djibouti le Monge avait vainement attendu, pendant peut-être 10 jours, le Surcouf (cargo envoyé seul de Diego avec 1.200 tonnes de vivres), puis était arrivé à Diego complètement à bout de vivres. Son retour fut amusant à voir, la marine (le commissaire de Maillard ) avait envoyé par tout un train de pousses un abondant dîner, en particulier beefsteaks et salades sur lesquels se précipita joyeusement l’équipage.

Certains hommes, ayant déjà franchi la coupée pour aller dîner en ville, retournèrent à bord manger beefsteaks et feuilles de salade avant tout mouvement.

Du Surcouf, on resta sans nouvelles. Son capitaine était un gangster de Diego bien capable de l’avoir vendu aux Anglais. Il y avait à bord une garde armée commandée par l’enseigne de vaisseau Hubert, de la promotion 36. Ce cargo complètement pourri pouvait bien aussi avoir fait son trou dans l’eau par mauvais temps.

Nous avons su en Angleterre qu’il avait été pris par un croiseur anglais après une chasse de 24 heures ; ce dernier, craignant qu’il n’y ait un sous-marin en plongée à côté du Surcouf dut être très prudent dans son arraisonnement. Hubert, mis en prison à Aden dans des conditions très dures, isolé du reste du monde était encore en prison en juillet 42 ( ?).

Vers le 15 décembre le d’Iberville chargea 300 tonnes de vivres et parti avec le Glorieux pour Djibouti. J’ai donné au Glorieux une lettre que la famille a reçue. Ils arrivèrent sans encombre le 24 décembre. Il restait à la garnison 2 jours de vivres seulement ; passé ce délai ils devaient faire tout sauter et capituler.

Le secret, au départ de Diego, était difficile à garder. On se faisait durement rappeler à l’ordre si on en parlait à la Résidence (carré de la marine), mais le colonel Claerbout, sa femme et sa fille allaient à Orongéa agiter des mouchoirs sur son passage !

Dijonneau, notre toubib, avait embarqué à la place de Le Meur qui souffrait alors d’un grave paludisme. Son arrivée à Djibouti fut assez comique selon lui, le petit patrouilleur britannique, ayant reçu du d’Iberville le signal « Eloignez-vous ou je tire  », tourna le cul et s’éloigna, ce que voyant, le Cdt Mas de Saint Maurice s’écria « Notre honneur est vengé !  ».

Vengeance facile ! Le d’Iberville avait été en décembre arraisonné par 3 croiseurs alors qu’il escortait vers la France un convoi de 5 cargos. Après 24 heures, ou peut-être plus, d’alerte il s’est laissé prendre son convoi sans résistance alors qu’en une occasion au moins il aurait pu ouvrir le feu à 2000 mètres sur un croiseur anglais.

Sur le Héros, pendant que nous allions de Dakar à Diego, nous avions appris que ce convoi escorté par le d’Iberville avait été saisi. Nous n’avions pas hésité à en déduire qu’il avait été coulé ; aussi, grande avait été notre surprise de voir le nom de d’Iberville sur l’aviso colonial qui nous saluait de hourras en bienvenue à Madagascar.

Le d’Iberville fut fêté à Djibouti comme un libérateur, ses 2300 tonnes de vivres permettraient de tenir encore quelques mois car elles complèteraient utilement les approvisionnements de dourah qui venaient d’Obock.

Le d’Iberville repartit au bout de quelques jours, escortant le pétrolier Elorn, et escorté par le Vengeur, l’Elorn pour toute la route et le Glorieux jusqu’à Gardafin ; à son retour à Djibouti le Glorieux fut survolé à basse altitude par un avion anglais.

Il ne tira pas sur l’avion, mais à son deuxième passage celui-ci lâcha 4 bombes qui éclatèrent sur son avant sans lui faire de mal.

Le Glorieux resta à Djibouti ; les Anglais à partir de ce moment en levèrent le blocus par mer.

J’ai assisté, du sémaphore d’Orongéa, au retour du d’Iberville et de l’Elorn. Le sémaphore est pourvu d’un superbe projecteur de 1,50 mètre, très moderne. Par nuit noire on devait donner un coup de projecteur toutes les 3 heures.

J’avais dit qu’on me réveille à 2 h 45 pour l’éclairage qui eut lieu à cette heure précise. Ce fut une chance car, voyant le projecteur, les bâtiments qui atterrissaient s’aperçurent qu’ils allaient à la côte ; moins d’un quart d’heure plus tard l’Elorn se fût mis au plein.

C’est un heureux hasard qui m’avait fait dire 2 h 45 car j’avais d’abord pensé donner ce coup de projecteur à 3 heures seulement. L’Elorn fut le bienvenu à Diego, il nous apportait 600 tonnes de diesel oil qui résolvaient momentanément l’angoissant problème du combustible.

Il y avait alors 5 sous-marins à Diego : l’Espoir, le Vengeur, le Monge, le Héros, le Glorieux, et il ne restait, je crois, que 300 tonnes de gas-oil. Un seul sous-marin en demandait 170 tonnes pour rentrer à Dakar ; nous savions donc qu’il n’y aurait pas assez de carburant pour assurer notre retour en France.

L’huile de coco, sur laquelle on avait compté comme combustible de remplacement, ne pouvait être utilisée car on venait de s’apercevoir qu’elle fige à 18°. On chercha ensuite à utiliser le pignon d’Inde, abondant, mais ce fut pour découvrir que les huileries seraient bien incapables de nous en donner plus d’une centaine de tonnes par an.

Dès le mois de mars, le Héros et le Glorieux savaient qu’ils avaient de fortes chances de finir la guerre, ou au moins l’armistice, à Madagascar, à moins qu’un secours providentiel ne leur tombât du ciel. Ce ne fut pas cette forme qu’il prit !

Cette question de combustible pesait gravement sur nous car, par économie et aussi par manque de réalisme militaire, notre entraînement fut complètement négligé. On sortait théoriquement une fois par semaine en rade pour plonger une heure ou deux.

Le commandement local n’organisa jamais de sorties collectives pour entraînement mutuel. Il y eut bien un grand exercice d’alerte, mais les sous-marins allèrent chacun dans leur secteur.

Nos bâtiments savaient faire de la route, mais nos écouteurs de G16 ou de micros HF n’étaient pas du tout entraînés. Actuellement un sous-marin ne peut pas se battre s’il n’est pas sûr de l’utilisation de ses appareils, s’il n’a pas une confiance presque absolue en son personnel écouteur.

Lorsque le d’Iberville revint de Djibouti, j’appris à son carré qu’un bananier réarmé en croiseur auxiliaire, le Bougainville, avait atterri sur Fort Dauphin, que ce bâtiment irait sans doute ensuite ravitailler Djibouti. J’en parlai à Guépin qui rendit compte de cette indiscrétion à l’autorité supérieure. Il fut question de sanctions puis on n’en parla plus ; il paraît que les indiscrétions venaient de l’autorité civile à Djibouti ou à Tananarive.

Le Bougainville arriva effectivement deux jours plus tard avec une cargaison précieuse : matériels de rechange, accus pour l’Espoir dont la batterie était à bout de bord ; comme il avait en outre une ligne d’arbre cassée, cela faisait un bel aviron tordu. Son commandant, le CC Tézenas du Montcel (autres : LV Lapierre, EV Lefranc, EV François ingénieur mécanicien) présidait le carré de la Résidence.

Au moment de l’arrivée du Bougainville, le Héros avait reçu l’ordre de se préparer à un voyage à Djibouti. Guépin tomba malade d’une otite qui le fit beaucoup souffrir ; le commandant l’envoya à l’hôpital et me dit de prendre la suite. Guépin put à peine me la passer tant il souffrait, aussi connaissais-je mal ses projets. Aidé des conseils du LV Crétin je fis embarquer le matériel.

Le sous-marin étant lourd à sa dernière pesée on en avait conclu qu’il aurait un chargement moins dense que ses prédécesseurs. L’équipage fut réuni sur la plage avant et je lui dis que nous allions à Djibouti comme il pouvait ou pourrait le voir, que le chargement se ferait incessamment et que si nous étions prêts samedi à midi les permissionnaires iraient à terre l’après-midi.

La question du chargement était mal définie ; sur la foi des renseignements rapportés par le d’Iberville je refusai du lait condensé ; on disait que les Anglais en livrant pour l’hôpital, il y en avait plus que suffisamment ; ce point s’est révélé inexact car les Anglais ont cessé d’en livrer à partir du voyage du d’Entrecasteaux, et les Djiboutiens furent très déçus de n’en pas avoir.

Dans les cales débarrassées du matériel inutile on entassa des conserves de bÅ“uf, du café vert, du sucre ; il y en eut plein les batteries. Tout le monde travaillait avec une belle ardeur. A 6 heures du soir, le Cdt Fontaine vint à bord avec le Cdt Lemaire disant « mais c’est idiot de vous charger ainsi, vous vous handicapez au point de vue militaire, et qu’est-ce que 15 tonnes que vous pouvez prendre à coté des 1200 que j’aurai avec le Bougainville  ». C’est ainsi que j’appris que le Bougain allait à Djibouti.

La Marine donna ordre et contre-ordre, ayant déclaré que si le Bougain n’arrivait pas, nos 15 tonnes compteraient toujours ! Ce raisonnement me choquait ; il semble que si le Bougain était arrêté, nous qui l’escortions aurions autre chose à faire, et qu’il serait mieux de couler quelques bons cargos anglais à Gardafui, de semer la terreur sur une route dont la protection n’était pas organisée, que de prétendre ravitailler Djibouti par des sous-marins qui ne pourraient pas venir à bout de cette tâche.

Quoiqu’il en soit nous embarquâmes une quinzaine de tonnes de vivres. L’équipage laissait à terre une partie de son sac, par contre embarquait individuellement des conserves pour se nourrir 2 mois, peut-être avec le secret espoir de séduire de belles Somalies !

La gamelle des officiers avait-elle aussi fait ses provisions pour ravitailler la table de la Marine où nous devions prendre pension pour les repas du soir. Nous avions 6 tonnelets de rhum, 20 litres de miel, du chocolat et des conserves plein nos armoires.

Tout fut embarqué dans un temps record et l’équipage sortit le samedi après-midi comme promis, il l’avait bien mérité. Pendant ce temps Guépin se morfondait à l’hôpital, logé au pavillon d’accouchements sur un lit aux draps couverts de vastes tâches et entre deux berceaux. Il criait « je veux sortir d’ici, aller à Djibouti avec mon bateau  » etc… Le Cdt Lemaire dut le rappeler à l’ordre pour son indiscrétion ! Il fut embarqué sur le Bougainville.

La première pesée en rade se trouva parfaite, résultat étonnant quand on songe la somme d’estimations à vue de nez qu’il avait fallu faire des mouvements de poids entrés ou sortis. La traversée se déroula sans autre incident jusqu’à Djibouti que la rencontre de quelques fumées lointaines pour lesquelles on faisait de vastes détours.

Le Bougainville apportait des tonnes de viande de porc que les frigos de la ville, en avarie, ne purent recevoir ; aussi notre première semaine la ration de viande fut-elle de 1kg500 de porc par Européen et par jour !

Nous déjeunions à bord du Bougain tant qu’il fut là (4 jours, je crois). C’était un carré très jeune, plein d’ambiance (LV Bonnet, IM Gachet, d’Albertville camarade de poste de la Jeanne et très cher ami, EV Chène, Hinden, Vilarem, du Moulin, de Gonneville, IM3 Dutray). Le commandant Fontaine offrit un goûter à une partie des officiers de la garnison, ce fut très gai et plein d’une saine ambiance.

Le Bougain repartit avec le Glorieux, emmenant quelques femmes et enfants, et des rapatriés sanitaires. Nous restions là pour un ou deux mois en principe. Il faisait très doux (arrivés le 18 février, je crois), frais la nuit. On travaillait le matin, se reposait l’après-midi à partir du déjeuner que nous prenions à bord. On s’était mis à la ration de la garnison alors très convenable grâce aux derniers ravitaillements et aux légumes que les jardins de la colonie fournissaient alors en abondance. Le soir nous dînions à la Marine.

La Marine comprenait le capitaine de corvette Mounot et le LV de réserve Laurence (pilote du port de Marseille). Tous gens très chics comme esprit et vraiment charmants dans leur accueil ; ils tenaient table avec le docteur chirurgien de l’hôpital. Le capitaine Cédé y dînait aussi très souvent. Il nous invita à son P.A.5, Guépin et moi. Autour de leur point d’appui solidement défendu (la ligne de Djibouti était l’Å“uvre du général Legentilhomme), ils avaient des jardins irrigués par l’eau d’une série de puits creusés en bordure de l’oued souterrain.

Ces jardins étaient alors pleins de tomates, pommes de terre et salade. On nous offrit un méchoui de chevreau somptueux ! Nous avons apprécié ce geste fastueux de gens qui eussent pu se le réserver pour des temps plus durs qui ne manqueraient pas de venir. (Les deux autres officiers étaient les lieutenants Petrowski et Taurine, ce dernier sera retrouvé plus tard).

Nous fûmes également reçus par la popote des lieutenants Aubert (fils de marin, commandant une batterie de 75) et Laroche, par Baudin ( ?) qui hébergeait notre commandant. Sa femme, connue sous son prénom Rosette, italienne très belle et vive, nous invita à un goûter, peu avant le départ, où elle offrit des éclairs au chocolat ; on se disputa les derniers comme des enfants de 10 ans, Laroche en avait plein sa barbe.

L’équipage joua 2 ou 3 parties de football auxquelles assistait une bonne partie de la ville. Je me distrayais en passant des heures à la pêche sous-marine. J’y pris un brochet délicieux que j’avais blessé 5 jours avant, quelques perroquets et daurades. Je me suis blessé avec mon fusil, ce qui m’arrêta quelque temps.

La ville était complètement vide d’indigènes, leurs quartiers très étendus étaient sinistrement déserts.

Notre séjour dura un mois à peu près. Sur sa fin, le soleil commençait à être chaud. Nous reçûmes un jour l’ordre de rentrer ; filant à l’anglaise sans débarquer, par discrétion, les quelques 200 litres de rhum et plus d’une tonne et demie de conserves que nous avions encore à bord. Que d’Anglais croisés au retour ; on se dit que sans doute on sera bientôt attaqués au port, alors qu ‘aujourd’hui on pourrait exercer de sanglantes représailles, mais on ne peut pas commencer.

Au retour nous trouvâmes en rade le Béveziers, arrivé avec le d’Entrecasteaux ou le Quercy, je ne sais plus. Le Quercy avait déjà quitté Diego. Je fis quelques réflexions sur la poisse que le commandant Simon ne manquerait pas de nous apporter. Ses officiers furent stupéfaits de le voir bavarder avec moi plus d’une heure un jour que j’étais allé à son bord voir quelqu’un (il parlait très peu, son impassibilité lui valait à bord le surnom « le masque  »).

Le Casteaux me rapportait ma bicyclette ; mon fils (Duquenne) l’avait utilisée à Dakar et m’avait mis un jeu de pneus et chambres à air neufs ! (EM du d’Entrecasteaux : CF Simon, CC Le Gouédec dit Totor ami et admirateur de Pierre Goybet , EV Le Hot, Lebon, Dubois, Dequet, Coulondre).

Ma bicyclette allait me permettre un peu plus de mobilité. Je pus aller ainsi avec Clavier (second du Glorieux) à une partie de pêche à Orongéa. Avec elle je pus aussi aller plus souvent à la piscine.
La piscine du commandant de la Marine mesurait 16 mètres de long (je la faisais 4 fois en nage sous l’eau). Très bien située dans un jardin, assez loin de la ville, le Cdt Maerten y allait assez souvent avec le ménage Natali (médecin colonial de l’hôpital).

Je me rappelle les bagarres féroces pour se disputer des pneus d’auto. C’est dans une telle bagarre avec madame Natali que j’ai appris à me débarrasser d’un adversaire cramponné à soi. Entraînement plutôt agréable à un jeu tragique ; nous étions loin d’y penser de façon si précise. C’est ce soir-là , peut-être le 28 avril, que le Cdt Fontaine disait en parlant de Madagascar que les Allemands sans doute ne tenaient pas plus que les Anglais à y voir les Japonais.

J’ai beaucoup vu, tant que le Béveziers a été au port avec nous, Pierre Girardon, un très chic officier. Nous parlions souvent ensemble de ses cousins, en particulier de Guy et de Marcel.

Le Béveziers a escorté le Bougainville à un second voyage à Djibouti, qu’on disait alors assuré de pouvoir tenir ainsi le reste de l’année.

A Diego, pendant notre absence, tout avait été en alerte, un avion avait survolé la rade, les Comores et Nossi Bé. A notre retour les choses étaient tassées en apparence. Pendant notre absence l’Espoir et le Vengeur étaient partis pour Dakar avec l’Elorn. Nous regrettions les charmants camarades qu ‘étaient pour nous leurs officiers. C’est Lapierre, Officier en second de l’Espoir, qui nous a fait expédier des colis que vous avez reçus, je crois.

Le Monge nous a quittés pour une mission après laquelle il ne devait plus nous revoir. Un dimanche matin comme j’avais Rossignieu (lieutenant d’aviation tué le 6 mai) dans ma chambre, nous entendîmes un avion. C’était un anglais. Rossignieu et moi allâmes à l’état-major de la Défense. On put constater que l’officier de permanence ne savait pas du tout quoi faire. J’allais à la Marine, où tous s’étaient réunis spontanément, on attendit un peu, l’avion était reparti, tout rentra dans le calme.

Le 2 mai 1942 nous appareillons pour Djibouti escortant un ancien cargo grec chargé de transporter 150 zébus sur son pont. Le voyage promet d’être charmant car le cargo marche péniblement 5,5 nÅ“uds, arrive à 6,5 en cassant tout. Pour nous, dont les moteurs ne peuvent tourner pour moins de 6,5 - encore est-ce mauvais - ce sera odieux.

En outre il ne sera pas question d’éviter les autres cargos pour ne pas être vus. On nous a dit que les circonstances n’ont jamais été si favorables, car des cargos italiens avec garde anglaise doivent arriver à Djibouti en même temps que nous pour y évacuer les Italiens d’Ethiopie ! Nous sommes étonnés de ne voir aucune fumée de cargo, ce vide de l’horizon nous paraît inquiétant.

5 mai à 06 h 45. Je suis de quart sur la passerelle. Le TSF m’apporte un TG « ALARM  ». Deux minutes après : « Diego Suarez attaqué par avions britanniques  ». On prévient le commandant , je fais prévenir Guépin . Le réflexe de Guépin et moi est qu’il faut courir au canon. Le commandant n’est pas de cet avis. Discussion.

A 8 heures un télégramme sur le déchiffrement duquel j’ai perdu une heure ordonne le retour. Mais on reste collé au cargo. Le pacha n’ose pas prendre l’initiative d’abandonner sa mission (tout compte fait il n’avait peut-être pas si tort).

A 10 heures on reçoit l’ordre d’expédier le cargo sur Tamatave et de rejoindre Diego, avec interdiction de pénétrer en rade sans autorisation.

Ce n’est qu’après un orage avec Guépin que le pacha décide de mettre à 16 nÅ“uds (il faut reconnaître que nos moteurs avaient été assez souvent défaillants, mais n’était-ce pas le jour de casser tout ?).
Le 6 au matin, vers 9h, un veilleur pense avoir vu un avion (position : 150 miles au nord de Diego). On plonge, Papelier au central à ce mot historique : « Ca commence à barder !  ». L’équipage est très calme, a très bon esprit.

Les nouvelles de Diego sont rares : on sait qu’un croiseur et plusieurs transports ont été vus, avec escorte, se dirigeant vers la Baie du Courrier, que le Monge a reçu l’ordre de quitter La Réunion pour prendre poste devant Diego ; le Glorieux qui réparait une usine à Majunga doit être vers la Baie du Courrier. L’absence de signaux à l’adresse du Béveziers et du Bougainville nous inquiète pour eux.

Le d’Entrecasteaux correspond avec Marine Diego, on pense à sa situation tragique dans la souricière. Le 5 au soir on sait que des autos canons sont déjà à Cap Diego ! Le 6 à 10 heures du matin, la Marine signale qu’elle cesse ses émissions. Le d’Iberville, de Tamatave, demande au Casteaux des renseignements sur la situation ; le Casteaux ne répond guère.

On pense à bord, qu’étant donnée la situation, les Anglais attaquent les batteries du goulet, et que demain matin il y aura à faire de ce côté-là .

Nous faisons route sur Orongéa. Je suis de quart de 20 à 24. La mer est assez mauvaise. Il semble que vers 21 heures ont voit un coup de projecteur dans le relèvement présumé du sémaphore, puis des lueurs qui peuvent être des coups de canon de part et d’autre, mais c’est assez confus. Monsaingeon dira en avoir vu plus tard. En réalité un torpilleur a forcé la passe vers cette heure-là et tiré sur le projecteur. La cote 84 lui a répondu.

A minuit je passe le quart à Monsaingeon. La mer est mauvaise et on pense que la plongée sera dure à tenir. Si ce sont bien des coups de canon qu’on a vu, c’est que la presqu’île d’Orongéa tient encore. Le commandant décidera peu après d’aller en face de la Baie du Courrier où le débarquement a du se faire et où la mer est certainement plus calme (les vents sont du secteur Est), donc plus favorable à l’attaque.

Je descends. Le toubib travaille sur des télégrammes mal pris par la radio et durs à déchiffrer. Je n’ai pas confiance dans l’issue de la bagarre, l’entraînement militaire du bateau est nul. On ne sait pas ce que donne le G 16. Il y a eu de longues discussions à ce sujet parce qu’aux précédents voyages on est passé en plongée très près de gros cargos rapides en les entendant à peine.

Les officiers Trans des autres bateaux font la même constatation ; mais le commandant s’est toujours énervé à ce propos, et chaque passage ainsi près d’un cargo donnait lieu à des engueulades pénibles pour ce brave Martin , ou le second maître Gourmelon appelé à la rescousse qui n’en peut mais. J’essaie de défendre les radios mais je n’ai pas beaucoup de poids parce que je n’y connais pas grand’chose, n’ayant moi non plus jamais été entraîné.

L’écoute contre Asdic aux micros HF ne marche pas du tout ; de plus on ne s’est que peu entraîné à Toulon, et plus du tout depuis faute de bateau pourvu d’Asdic. Quand le Casteaux est arrivé à Diego, le sien était en panne.

Guépin dit qu’il n’y a plus qu’à faire le baroud d’honneur et se faire couler après avoir fait le plus de mal possible. Nous avons la pénible impression d’arriver trop tard.

Je dors mal, mais de temps en temps vais voir où en est le toubib, le télégramme doit être intéressant mais son déchiffrement n’avance pas. A 3 heures je vais faire un tour sur la passerelle. Le clair de lune est si beau qu’on distingue même les couleurs de la végétation et du sol à terre. On est alors assez près du Cap d’Ambre.

Le pacha a dit qu’il plongerait avant le jour. A cet effet Guépin a ordonné qu’on le réveille à 4h30.
Etant recouché, je suis réveillé en entendant parler à Guépin. 4h45 on ne plonge pas, pourquoi ? 5h00 coups de klaxon répétés. Je me lève pour aller voir la pesée, intrigué par cette série peu usuelle de coups brefs. Je suis vêtu d’un caleçon de bain slip et de mes babouches. Allant vers le central j’entends des interpellations entre le pacha, pressé de plonger, et Guépin qui fait vérifier un lumineux avant de dire « paré à plonger  ».

Le 2ème temps a lieu. On chasse aux rapides (11 mètres) quand une explosion ébranle tout. La lumière s’éteint bien entendu. La vaisselle de l’office du et carré est tombée tout autour de moi. Dans l’obscurité les opérations se poursuivent. On referme les purges. Quelle profondeur : 30 mètres (le manomètre est en réalité coincé). L’assiette du sous-marin est normale. On rouvre les purges. A l’avant les hommes et officiers mariniers ont été jetés à bas de leurs couchettes. Une fuite d’air comprimé fait désagréablement monter la pression à bord ; je crois que c’est parce qu’on coule.

On signale : « le feu à la batterie avant. Grosse voie d’eau à la batterie avant  ». Une forte odeur d’ébonite brûlée et de chlore se répand et nous pique les yeux et la gorge. Je n’ai pas de lumière à moi et ne puis rien faire. J’ai été au poste de TSF aider à débloquer un accu, les meubles TSF sont tous plus ou moins en salade, décrochés de leurs cloisons. Gourmelon, Rameau sont très calmes et passent l’accu au central.

Le pacha ordonne poste d’abandon. Une grosse variation de pression, le panneau est ouvert, il semble qu’on ait à peine eu le temps de chasser ; nous étions en effet en surface, des lests de quille arrachés par l’explosion ont empêché de plonger. Des hommes montent par le sas et le central. J’attends au carré, ne pouvant rien sans lumière. Papelier est allé à l’avant avec sa lampe torche, il y trouve des hommes essayant en vain de soulever le panneau qui est recouvert d’un mètre d’eau. Il les envoie sur l’arrière. Je les vois tous passer devant comme de grandes ombres silencieuses.

Je monte par le kiosque, suivi de Guépin. L’équipage est aligné sur l’arrière, sous la conduite de Monsaingeon. On a quelques degrés d’assiette négative, l’eau arrive à peu près au pied du canon, ce qui empêchera de dégager la drôme du youyou. Je redescends en bas où Guépin et le pacha se trouvent, le matelot timonier Riche descend avec moi. Je veux aller prendre les ordres du pacha pour les documents secrets et remonter des flotteurs. Le pacha me répond qu’il s’est occupé de la question, que je peux remonter.

Avec un fanal à accus, Riche et moi allons à l’avant, la cale du poste est ouverte, les cales mobiles ayant sauté, les matelas des couchettes sont en salade, nous constatons qu’il n’y a personne de coincé. Dans ma chambre, je veux prendre ma brassière, que pour éviter l’encombrement j’avais placée sous le tiroir de ma couchette, mais toute la bibliothèque équipage, toutes les affaires sont sur le parquet et empêchent d’enlever le tiroir ; j’y renonce. Je vois mes lunettes sous-marines, mais ne les prends pas parce que le clapot est fort, et mon tube de caoutchouc, mal arrangé, ne fonctionne pas dans le clapot. Si nous avions été bien informés du danger de brûlure des yeux par le gas-oil, je les aurais certainement prises.

Nous faisons passer des pliants et un hamac sur le pont, puis remontons. Guépin et le pacha, ayant fini leur ronde, remontent à leur tour. Celui-ci ordonne de se mettre à l’eau. Il ne reste à la fin que quelques hommes ne sachant pas nager, et les officiers qui les encouragent à sauter. Il y a cinq minutes au plus qu’on a reçu la grenade.

Dans la pénombre on voit l’avion qui nous a coulé, un affreux biplan à roulettes, lancer une fusée bicolore. Au loin on voit Windsor, que j’estime à 25 kilomètres. L’aurore rosit l’horizon. Monsaingeon crie aux hommes “la terre est dans la direction du soleil, nagez vers lui†.

Le QM fusilier Ladan, un très chic type, un des piliers du bord, me dit « Lieutenant, je ne sais pas nager  ». Je n’avais rien à lui donner. Je le décide à sauter en me tenant la main. Aussitôt à l’eau, il s’agrippe à moi, je dus m’en débarrasser en me laissant couler ; une seconde tentative n’est pas plus heureuse et je dois le lâcher, épuisé par ces efforts. Il nageote, je vois Papelier qui a une brassière, et le lui recommande. Papelier, que je croyais bon nageur, n’a pas pu le sauver.

Je vois le Héros disparaître lentement en assiette -15, il glisse sans remous, montrant ses hélices. On estime qu’entre la grenade et sa disparition 7 à 8 minutes se sont écoulées.

Des Swordfish tournent au-dessus de nous, j’en vois dont le mitrailleur fait signe de la main. Une ou deux minutes après, 2 fortes explosions nous secouent désagréablement le ventre. Qu’était-ce, nul ne peut le dire. Nous sommes dans une vaste tache de gas-oil qui nous brûle les yeux, on nage debout au vent pour en sortir. Le clapot, plus fort qu’on ne l’eût cru, est gênant. J’ai faim. Encore fatigué par Ladan, je n’ose m’approcher. Plus tard je me suis dit qu’on aurait pu trouver une solution pour s’accrocher confortablement et pense qu’il ne pouvait le faire seul.

Près de la tonne à essence qui flotte, 6 ou 7 sont rassemblés. Nous sommes très gais, la joie de voir la lumière ? D’être sortis de cette tension nerveuse où nous étions depuis 48 heures ? Des bouts de bois de pont surnageaient ; quelques-uns uns en ont pris, je n’en ai pas trouvé. Dijonneau m’en passe quelques-uns uns, reliés par un morceau de ferraille qui les alourdit, et leur donne une forme d’hélicoù¯de ; ils sont bien incommodes et flottent à peine. C’est peut-être plus un soutient moral que réel. Dijonneau me dit qu’il y a une place à la tonne à essence près de laquelle il nage, mais il est horriblement vert.

Le soleil s’est levé et il fait grand jour quand on voit une mature vers le large. Elle s’approche, on distingue la passerelle, puis s’éloigne. Déception pénible que nous aurons bien 5 ou 6 fois au cours de ce bain.

On se dit que si les bateaux qu’on croyait nous voir ne s’arrêtent pas, c’est qu’ils ont mieux à faire ; c’est une consolation qui laisse malgré tout des sentiments assez mélangés.

En nageant ainsi vers un voilier lointain j’ai quitté le groupe. Je vois les frères Leray (un SM et un QM mécaniciens) ; ils ont une bouée couronne, et me voyant disent qu’elle est juste suffisante pour deux et que Gourmelon, mon second maître radio qui était avec eux au début s’est noyé.

Le voilier ne venant pas, je retourne vers la tonne à essence, attendant qu’il s’y fasse de la place, si d’autres se laissent aller avant moi. J’eus du mal à la retrouver et passai un long moment seul. La mer était idéalement claire, représentait une mort très douce et me rappelait les légendes comme celle du début de Guillaume Tell, si souvent traduite autrefois.

Les Leroy m’avaient dit qu’ils avaient vu la terre rouge près de l’Ile Ronde au Sud, je crois que c’était pour encouragement ; j’estimais la distance des îlots fermant la baie à 12 kilomètres. Mes jambes se fatiguaient, les bras étant immobilisés par mes bois qui portaient si peu et que j’avais vainement essayé d’assembler avec mon caleçon comme corde. Je finis par décider de nager vers la terre en compagnie du jeune gabier Lantredon de l’Unité marine, passager à bord. Nous nous mettons en route. Il pouvait être 8 heures moins le quart ; je pense qu’il faudra bien tenir jusqu’à 16 heures pour atteindre la terre. Je lâche mes bouts de bois, puis retourne les prendre, les relâche enfin. Des avions - on n’en avait pas vu depuis le début du bain - apparaissent et font des piqués sur nous ; c’était sans doute pour nous montrer à ces escorteurs qui nous repêcheront.

Au bout d’un moment on voit 8 matures de bateaux qui croisent entre la terre et nous. Comme ils vont et viennent, ils nous apparaissent comme une étape vers le salut, et cela nous donne plus d’ardeur. Il semble qu’ils se rapprochent, bientôt on voit leurs passerelles avec des baleinières sur bossoirs. Le gas-oil, le vent et le soleil dans les yeux, on y voit très mal. Pour regarder il faut précisément ouvrir l’Å“il au moment où on est sur les crêtes.

Les bateaux semblent stoppés, je vois des palans de bossoir affalés, ils ont du voir les premiers et les repêchent ! Cette fois on tient le bon bout. Nous nageons maintenant très vite pour les approcher. On voit enfin une baleinière sortir du clapot et nager vers nous. On nous aide à monter à bord. Il y a déjà 2 ou 3 hommes de chez nous. Puis nous repêchons tout un groupe accroché à la planche de débarquement (5 ou 6, dont Guépin exténué, et le premier maître mécanicien Durand).

On grimpe sur la corvette Jasmine par les filets le long de la coque. Les marins nous enveloppent dans des couvertures et nous conduisent à leur poste où on nous donne du thé et des sandwiches. Le SM Monnier, déjà à bord, pointe les repêchés arrivant. On nous donne des vêtements. J’hérite d’un petit sac de jute cousu contenant tricot et caleçons longs de laine, un pantalon de tissu laineux avec 2 mouchoirs dans les poches, une paire de belles chaussettes de laine et une paire de savates à semelle caoutchoutée. Dans la poche du pantalon, une étiquette « Emergency rescue suit : a friend ashore to a friend still afloat  ». Au verso une adresse de l’Å“uvre pour remerciements éventuels. L’étiquette m’a été barbotée à bord de l’Oronsay par un anonyme amateur de souvenirs.
A l’impression d’être sauvés se substitue rapidement celle d’être prisonniers. Guépin parle déjà de barboter le bateau, ce qui semble bien difficile. On apprend que le pacha et Montsaingeon sont avec 13 hommes sur le torpilleur Packenham. Il y aurait donc 22 manquants.

Le maître Cloquin (?) a été repêché mort. Le QM Rameau lui avait passé sa ceinture, mais il a du mourir de faiblesse ou de congestion, il avait au cou une petite blessure qui saignait. Nous l’avons immergé. Un officier anglais était présent, une sentinelle rendait les honneurs. Le premier maître Durand récita Notre Père et Je vous salue Marie.

Après avoir été parqués un moment sur le pont, les officiers furent envoyés au carré. On avait très soif, on nous donna de la bière.

Nous entrons en rade du Courrier vers midi ou 2 heures. Une embarcation vient prendre les 6 officiers (12 hommes d’escorte !) et le conduit à bord du transport d’Etat Major.

Interrogatoire : Identité. Nous ne sommes pas très gracieux ; Guépin pour avoir contesté être avec les Anglais « entre amis  » se fait sortir un revolver. Dijonneau à qui on dit « mais l’ennemi héréditaire de la France c’est l’Allemagne  » répond que sur mer et aux colonies notre ennemi héréditaire a été l’Angleterre bien avant qu’il y eut une Allemagne.

L’interrogatoire terminé nous sommes conduits sur le transport Grousay de 22.000 tonnes de l’Orient Line. Un Lt Commander est chargé de nous. Il nous demande notre parole de ne pas saboter le bateau ni nous sauver. On s’occupe du logement de nos hommes, de nous laver nous-mêmes. Il y avait à bord déjà deux marins du d’Entrecasteaux, Eckstein et Mappa, qui disent avoir vu de terre le d’Entrecasteaux bombardé à coups de canon, sa passerelle démolie et en feu, on en déduit qu’il doit n’y avoir que bien peu de survivants.

De l’armée, il y avait 7 officiers : capitaines Thomas, Caussèque, lieutenants de la Rochère, Philippe, Chambon, Adam-Maurin, quelques hommes. Ils avaient été faits prisonniers le 1er jour. Caussèque commandait la batterie de 138 de la Baie du Courrier, il a été pris au lit à 4 heures alors qu’il allait se lever. Il dit que dimanche un ami de l’état-major l’avait prévenu officieusement qu’il y avait quelque chose en l’air, mais on ne lui avait pas dit quoi. En tout cas, aucun ordre d’alerte n’avait été donné. Son fil téléphonique avait été coupé dimanche soir et lundi après-midi.

Le Lt Commander qui nous gardait était un naufragé du Cornwall, qui avait passé 28 heures sur un radeau. On le surnommait V. Francen à cause de sa barbe. Il dînait à notre table. Nous étions assez froids. Guépin, furibard, ne cessait de grommeler. On nous sortait de la cabine une heure le matin et une heure l’après midi. Après les repas on allait au lounge une heure prendre le café. Les deux premiers soirs, on nous offrit le whisky.

Le 8 à 6 heures on appareille pour Diego Vaste détour au nord du Cap d’Ambre. On aperçoit au loin une curieuse corrida de torpilleurs. Nous pensons qu’un sous-marin attaquait. Le soir on nous dit qu’un sous-marin avait été coulé. C’était sans doute le Monge qui devait se trouver dans ce secteur. Au passage du goulet, nous regardons les batteries de 100 et 340, elles portent des traces visibles de dégâts.

Le premier soir, on mouille en Baie des Français. Sur rade : le Ramilies, deux porte-avions Furious et Illustrious, une douzaine de torpilleurs et au moins autant de corvettes, un nombre considérable de transports et grands cargos.

On nous avait dit le 7 qu’un accord est signé et que nous serons rapatriés. Il nous semble entendre des coups de feu dans la Montagne des Français. On discute de chances d’évasion, sur la foi du fameux protocole on y renonce. On change souvent de mouillage. Nous serons plusieurs jours à toucher Orongéa, à coté du goulet. Nous espérons voir un sous-marin entrer en rade et faire un carton ; cette attente sera vaine. Que sont devenus le Monge et le Glorieux ?

Le Héros avait, trois semaines plus tôt, exécuté un exercice de rentrée en rade dans le goulet, c’était assez facile. Il y a une corvette dans la passe, mais ses tirants d’eau, 11 pieds, montrent qu’une attaque décidée permettrait de s’en débarrasser ; en fonçant ensuite, il y aurait un joli coup à faire. On reparle du vieux projet agité par moi à moitié plaisantant. Il était le suivant : Diego ne tiendrait pas beaucoup plus de 48 heures, 6 jours au mieux. Si l’attaque a lieu, j’empoisonne le commandant, le second, l’ingénieur, 2 tiers de l’équipage. On va ensuite se poser sous le bâtiment par 70 mètres de fond. Une fois les Anglais en rade, on sort de son coin, lance les 12 torpilles, et se défile si c’est possible. Le plan fantaisiste méritait peut-être d’être considéré, il l’a même peut-être été ; par la suite beaucoup se le sont attribué. On en a parlé le 6. Si on avait connu la situation exacte à Diego, on aurait été sûrs qu’aucune mine n’était mouillée par nous dans les passes et on l’eût peut-être exécuté. Mais nous en étions à l’interdiction d’entrer en rade sans autorisation.

Plus tard, madame Natali me dira sur l’Oronsay que pendant les 8 jours du 7 au 15 mai, Maerten se demandait avec impatience si un sous-marin n’entrerait pas en rade. 4 sous-marins, et rien de fait, c’était réellement vexant.

Le 9 ou le 10, nous obtenons l’autorisation d’aller à terre Guépin, moi, une corvée de 5 hommes, chercher nos affaires et l’habillement des marins laissé à terre à la caserne de l’Unité Marine. Le Lt Commander nous escorte. En montant la côte sous la place Joffre on lit sur les murs les proclamations des autorités civiles et militaires, signées Bourgine, Claerbout, Maertin, Garrouste, ordonnant la résistance et la mobilisation. Sur le boulevard militaire nous apercevons Maerten ; notre escorteur ne voulant pas allonger le pas, un sous-officier de l’armée qui passait est chargé de le prévenir. Maerten est stupéfait de nous voir, atterré d’apprendre que nous n’avons rien pu faire. Comme Guépin veut lui remettre notre liste de morts et disparus, le Lt Commander s’y oppose et la met dans sa poche.

A la Marine, nous trouvons des soldats anglais entrain de piller les affaires des hommes ; il n’en reste plus qu’un tas de sacs éventrés, tout le linge blanc a été pillé successivement par les Malgaches et les soldats anglais. A la Résidence, c’est la même chose. On recueille ce qu’on peut, le charge sur une charrette, et en route.

Au retour je passe chez ma blanchisseuse qui avait du linge à laver et à réparer ; je le récupère. Les Ramatouas voisines viennent aux nouvelles, elles ont l’air très sincèrement émues de nous voir partir de Diego. Elles étaient très hospitalières pour nos hommes, grand sujet de souci pour nos médecins ! Les Ramatouas ont jusqu’à leur départ été très gentilles pour eux, leur portant des suppléments de repas, rapportant leur linge, faisant tout ce qu’elles pouvaient.

Le commissaire de la marine fera préparer des petits sacs d’habillement pour chacun, nous les trouverons au quai. Je passe ensuite à la banque où je loge, je fais un saut au premier où les Santucci sont entrain de déménager. Santucci ne veut pas collaborer avec les Anglais qu’il connaît bien, dit-il. Madame Santucci, dès que les Anglais sont arrivés pour s’installer dans nos chambres, a été les prévenir qu’elle conservait un Å“il sur nos affaires. Grâce à cela sans doute, ma chambre et celle de Clavier sont intactes. Je prends une partie des affaires, et préviens que je repasserai. Les Santucci avaient regardé s’il n’y avait pas de papiers à détruire et pris comme souvenir un bouton d’uniforme et une carte de visite laissés dans le tiroir.

Quelques jours plus tard, on retourne à terre pour un service à la cathédrale célébré pour les morts des deux camps.

Après le service funèbre nous déjeunons à la Résidence où les camarades sont campés, prisonniers sur parole. Les jeunes se sont très bien occupés de leurs hommes prisonniers, les faisant travailler à leur installation de baraques. On entend un autre son de cloche sur le brio de la défense. Le d’Entrecasteaux accuse Maerten d’incroyable légèreté. Durement attaqué à la torpille, la bombe et surtout la mitrailleuse (16 passes de Gurmann Marthlet ( ?) armés de 4 mitrailleuses de 13,2. Il a reçu 20 à 30.000 balles !), il s’était placé pour pouvoir tirer sur les routes ravitaillant les arrières ennemis ; malgré ses demandes à la Marine il n’aura jamais de renseignements sur la situation et ne pourra qu’agir à la vue sur l’Isthme d’Andrakah alors qu’il pouvait tirer sur Anamakia par où passaient les colonnes attaquant la ligne GH (le rapport d’opérations du commandant Simon est terrible, si on veut bien le lire. Voir en particulier l’annexe signaux et la phrase : « ne connaissant pas la situation…  »).
A la batterie de 100, le LV Bonnet n’a jamais pu recevoir d’ordres, aucune liaison n’était organisée bien qu’il ait eu un projecteur de signalisation lui permettant de correspondre avec la Marine.

Finalement la résistance fut organisée sur la ligne GH, longue de 1800 mètres et barrant la presqu’île au sud d’Antsirana. La batterie de côte de la cote 84 disposait de 1000 obus contre la terre, elle n’a jamais reçu de la Défense les ordres lui permettant de les utiliser. L’occasion était pourtant magnifique.
Dans la nuit du 6 au 7, un torpilleur qui avait forcé les passes déposa des hommes en ville ; en outre, des infiltrations s’étaient produites dès celle du 5 au 6. La ligne fut enfoncée au cours d’un assaut de nuit. Claerbout était prisonnier depuis la veille et refusait de donner l’ordre de cesser le feu. Le colonel Rouvès, cerné dans un des forts, dut capituler. On lui signa un accord promettant les honneurs de la guerre puis rapatriement.

Un médecin militaire à 4 galons se rendit à Orongéa, se disant porteur d’ordres du colonel Claerbout, il fit signer par le capitaine Cassogniaud une reddition analogue. Les 3 batteries de côte et une compagnie d’infanterie furent ainsi rendues.

Ici on peut encore critiquer la Défense de Diego : que voulait-on défendre sur la ligne GH ? Du moment qu’on n’avait pu refouler le débarquement, ne valait-il pas mieux tenir Orongéa et ses batteries en se retranchant dans la Montagne des Français et sur l’Isthme, ce qui donnait en outre certaines possibilités de filer vers le sud ?

Les hautes autorités furent convoquées à bord du Ramilies pour recevoir les conditions anglaises. Il y eu une conférence où il n’y avait pas d’interprète fourni par les Français ; il y fut discuté les accords de reddition de l’ensemble de la place et le principe d’un protocole suivant lequel, en attendant rapatriement de toutes les forces, les officiers seraient prisonniers sur parole.

La Défense s’engageait à faire cesser le feu (ce qui était fait en réalité) et à faire connaître les emplacements de mines.

A la signature qui eut lieu le soir, un texte français et un texte anglais furent produits, le texte anglais seul signé ; mais il comportait la petite différence de l’article 5 : « Les conditions de rapatriement  ».

Maurice PUTZ


Les pertes des sous-marins à MADAGASCAR.


- Sous-marin Monge : 69 morts
Photo du quartier-maitre électricien Pierre DELEUIL disparu à bord du sous-marin MONGE - aimablement communiquée par sa famille


- Sous-marin Bévéziers 8 morts


- Sous-marin Héros 23 morts


Etats-Majors des sous-marins Espoir et Vengeur


Sous-marin Espoir


Sous-marin Le Glorieux


Sous-marin Le vengeur


Equipage du Vengeur en 1940


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